De l’activité solaire aux gaz à effet de serre en passant par El Niño, une rare conjonction de facteurs suscite des prévisions alarmantes : des températures inédites pourraient bientôt embraser la fin de 2023, menaçant l’équilibre climatique de notre globe.
Le climat global à long terme est guidé par des phénomènes prévisibles. Les 12 à 18 mois à venir s’annoncent singuliers, des températures records émergeront, fruit d’une convergence de facteurs locaux et mondiaux. Cathy Clerbaux, directrice de recherche au CNRS (LATMOS/IPSL), professeure invitée Université libre de Bruxelles, Sorbonne Université a travaillé avec son équipe spécialisée en analyse satellitaire de l’atmosphère. Comme elle le raconte dans The Conversation, ils ont scruté chaque jour des millions de données célestes. Et ce dans le but de surveiller les températures terrestres et marines, partout sur la planète, et évaluer les concentrations gazeuses. Récemment, l’équipe de Cathy Clerbaux a observé des records de chaleur pulvérisés dans de multiples pays. Pour la professeure : “la probabilité qu’on dépasse dès maintenant un seuil qu’on pensait atteindre entre 2025 et 2040 est importante“.
Allons-nous déjà passer un cap à +1,5 °C en 2023 ?
Le récent battage médiatique s’est concentré sur un indicateur clé : l’élévation de la température moyenne mondiale de 1,5 °C par rapport à l’ère préindustrielle. Un seuil emblématique de l’accord de Paris sur le climat qui a été dépassé à plusieurs reprises cet été. La question brûlante : cette tendance pourrait-elle persister dans le calcul de la moyenne annuelle des températures mondiales pour l’année 2023 ?
Comprendre la trajectoire thermique requiert une approche holistique, car notre climat est une toile complexe d’interactions entre les actions humaines, l’atmosphère, les surfaces terrestres et végétales, les glaciers, la neige et les océans. Le système climatique oscille sous l’impulsion de sa propre dynamique interne, tout en étant modelé par des influences externes. Ces dernières, baptisées “forçages radiatifs”, sont quantifiées en watts par mètre carré (W/m²).
Facteurs de changement climatique : exploration des forçages naturels et anthropiques
Le monde climatique repose sur une interconnexion de termes clés : “forçage” et “radiatif”. Le terme “forçage” révèle le déséquilibre radiatif terrestre, tandis que “radiatif” dévoile l’ajustement entre le rayonnement solaire entrant et le rayonnement infrarouge s’échappant de l’atmosphère. Cet équilibre détermine les températures à différentes altitudes. Les forçages positifs entraînent une hausse des températures de surface, tandis que les forçages négatifs induisent une baisse. Ces mécanismes, qu’ils soient d’origine naturelle (éruptions volcaniques, activité solaire) ou humaine (gaz à effet de serre et particules), forment la trame des changements climatiques récents. La distinction cruciale entre influences anthropiques et variations naturelles devient alors une nécessité pour interpréter les évolutions climatiques observées.
Parmi les facteurs déterminants, émergent quatre principaux forçages. L’impact des fluctuations solaires, résultant des modifications du rayonnement solaire atteignant la Terre, s’inscrit dans des cycles de 11 ans, liés aux variations du champ magnétique solaire. Suivent les éruptions volcaniques, des événements de courte durée (1 à 2 ans) mais intensément négatifs (-1 à -5 W/m²), influençant le climat par l’introduction de cendres, gaz et particules dans l’atmosphère. Ces forces naturelles cohabitent avec les effets anthropiques des gaz à effet de serre (dioxyde de carbone, méthane, protoxyde d’azote et CFC), provoquant un forçage radiatif positif de +3 W/m², par leur absorption du rayonnement thermique terrestre. Enfin, les aérosols, particules en suspension dans l’atmosphère, apportent un forçage radiatif négatif de -0,5 W/m², reflétant et absorbant la lumière solaire tout en modifiant le bilan radiatif terrestre. Cette complexité de forces éclaire le tableau des enjeux liés à la métamorphose climatique.
El Niño : quel impact sur les températures ?
Au-delà des facteurs radiatifs, l’analyse climatique doit intégrer la fluctuation naturelle du système océan-atmosphère, incarnée par le phénomène ENSO (El Niño Southern Oscillation). Ce duo, composé d’El Niño (chaud) et La Niña (froid), agit comme moteur des variations annuelles et se révèle crucial pour l’interprétation des évolutions à long terme de la chaleur marine. Ces événements périodiques, produits de l’interaction océan-atmosphère au sein du Pacifique équatorial, orchestrent une danse thermique. Les alizés, vent d’est en ouest le long de l’équateur, transportent les eaux chaudes vers l’ouest du Pacifique, laissant les eaux froides remonter des profondeurs dans l’est.
Ce ballet crée un paysage de températures variables entre mer et air. Cependant, lorsqu’El Niño se déclenche, les alizés s’affaiblissent, provoquant un renversement des courants. L’eau chaude migre vers l’est le long de l’équateur, générant un réchauffement de la surface marine. Cette élévation de température, pouvant s’étendre sur plusieurs degrés, bouleverse les systèmes climatiques mondiaux, ouvrant la voie à des conséquences d’envergure. Ces oscillations, dont la durée peut varier de mois à années, orchestrent des schémas climatiques hétérogènes à travers le globe, impactant localement les précipitations et les sécheresses, tout en influençant l’équilibre climatique global.
À quoi s’attendre dans les mois à venir ?
L’activité solaire gagne également en intensité selon la professeur, impulsant un réchauffement modeste, environ +0,1 °C. Le pic de rayonnement solaire démultiplie son impact, augmentant les températures moyennes. L’évènement volcanique exceptionnel se révèle intrigant. L’éruption violente du volcan sous-marin Hunga Tonga en janvier 2022 a propulsé 150 millions de tonnes de vapeur d’eau dans la stratosphère, influençant potentiellement le réchauffement terrestre. Les simulations numériques tentent d’estimer l’ampleur et la durée de cette élévation thermique, dû à l’effet de serre puissant de l’eau. Les gaz à effet de serre persistent en accumulation, dominant les autres facteurs de forçage radiatif. Ce phénomène exerce déjà un impact majeur, orientant la moyenne des températures vers une hausse de +1,5 °C, atténuée légèrement par les aérosols (-0,3 °C).
L’érosion des aérosols se confirme ces dernières années, notamment due à une réduction de la pollution automobile en Chine, en Europe de l’Ouest et aux États-Unis. Le moindre transport de sable du Sahara vers l’océan libère le champ solaire, contribuant aux enregistrements de températures records dans l’Atlantique nord durant l’été. Après trois années en régime La Niña, la scène s’ouvre à un possible El Niño. L’intensité et la durée de cet événement restent à définir, mais son influence sur les températures océaniques au cours des 12 à 18 prochains mois s’avère certaine, avec des prévisions de hausse par rapport aux trois années précédentes.
Selon la professeure, toutes les conditions sont réunies pour engendrer des températures records au cours des 12 à 18 prochains mois, ce qui pourrait accélérer le dépassement de la limite de 1,5°C en moyenne mondiale, une cible audacieuse de l’accord de Paris sur le climat, bien avant l’échéance de 2030. Les implications, largement documentées dans le rapport spécial du GIEC de 2019, se répercutent sur les écosystèmes et les sociétés. Malgré l’apparente modération d’une élévation de 1,5°C, il est crucial de rappeler que 70% de la surface terrestre est constituée d’eau, avec une inertie thermique plus grande que la terre ferme et un réchauffement plus lent. De plus, les disparités géographiques du réchauffement sont notables, avec des régions polaires se réchauffant bien plus rapidement que les tropiques, avec des pointes de 4°C prévues dans ces zones. La possibilité d’une avancée vers des températures record dans les mois à venir est considérable, mais toutefois non certifiée, car il faudrait des forces naturelles exceptionnelles pour contrecarrer la trajectoire attendue, étant donné que les émissions de gaz à effet de serre demeurent inaltérées.